Philippe Starck : Le créateur
Avec son air de grand enfant, Philippe Starck a, entre autres, été élu créateur de l’année en 1985, été décoré chevalier des arts et des lettres, reçu trois premiers prix au Néocone de Chicago, est professeur à la Domus Academy de Milan, etc…
Avec ses créations empruntes de ludisme et de sérieux, Starck surprend. Regard sur ce grand designer, honnête homme du 21ème siècle.
Un grand rêveur qui réalise ses rêves…
A première vue, Philippe Starck est un designer constellé, il aborde des univers créatifs aux antipodes les uns des autres. La réalité de son parcours innovant est toute autre, car l’homme est investi d’une mission qui donne une cohérence essentielle à l’ensemble de ses réalisations : rendre le monde dans lequel nous vivons meilleur. Starck est un créateur, au sens fort du terme. Il est un acteur positif de notre vie, à laquelle il apporte honnêteté, humanité et poésie. « Subversif, éthique, écologique, politique, humoristique, voilà l’idée que je me fais de mon devoir de créateur. » Bien avant que l’écologie ne devienne une préoccupation collective, Starck fut un acteur précoce dans la prise en compte du respect de notre planète. Il lança, entre autres, la gamme OAO “Nous sommes ce que nous mangeons” et conçu des éoliennes individuelles à l’usage des particuliers. Son design révolutionnaire et sa volonté d’oeuvrer positivement l’amenèrent à participer aux conférences TED (Technology, Entertainment & Design) aux côtés de Bill Clinton ou Richard Branson. Ambitieux et amoureux du progrès, Starck en veut toujours plus. À propos de son nouveau modèle « Broom Chair » Starck dit : « Mies Van der Rohe a dit « less si more ». D’accord c’est vrai, mais pourquoi choisir ? Avec cette chaise, on peut dire « moins et plus », « less and more ». Parce qu’on choisit de faire moins – moins de style, moins de design, moins de matériaux, moins d’énergie – et finalement on a plus. »
L’enfant spirituel du design…
Précurseur des questions qui accompagnent la redéfinition du travail qui s’annonce aujourd’hui, Starck, préservant son âme d’enfant, énonce une vision personnelle et finalement avant-gardiste. « Il n’y a pas de travail dans ma vie ! Il n’y a que du jeu, de la curiosité, de la générosité, de la vision. Finalement, ce sont des jeux d’enfant, des jeux d’imagination, sauf que grâce aux talents divers et surtout à ceux de l’ingénieur, quelque chose se réalise. » Incroyablement philosophe ? Grand spirituel ? Starck se définit comme un grand enfant. « Je suis un gamin rêveur, qui a tout à la fois la légèreté et la gravité des enfants. J’en assume la rébellion, la subversion, l’humour. » D’une grande humilité, indissociable d’une véritable bienveillance, il invite les usagers à participer à la création, à s’exprimer sur leurs besoins, à s’approprier ou à choisir de nouveaux objets. Il propose des créations plus qu’il ne les impose, l’essentiel demeurant d’oeuvrer dans le sens d’un quotidien plus respectueux de tous et du monde. La gamme « Play dining » est composée de mobilier fabriqué sur mesure à partir d’une multitude de combinaisons possibles. Ainsi, une relation libre et ludique se met en place entre l’artiste et le client, puisque le second participe de manière directe et créative à la réalisation finale. Exempt de jugement, ouvert à la technologie autant qu’à la tradition, Starck enrichit chaque objet et lieu de notre quotidien, qu’il soit usuel ou exceptionnel. Dans le restaurant Cristal Room Baccarat, Starck lie l’histoire à la modernité, en aménageant l’ancien hôtel particulier de Marie-laure de Noailles. Il joue avec la multitude des lumières du cristal, pour restaurer l’âme festive de ces lieux historiques.
Du consommateur à l’acteur…
Lors de la conception, Philippe Starck s’attache à donner une signification humaniste aux objets. Il pénètre ses créations de signes positifs et constructifs, au détriment d’associations liées à la violence politique. Il les affranchit de toute dimension ostentatoire. Les objets ne doivent pas servir une approche négative de la richesse : épater les autres en leur prouvant que l’on possède de l’argent. Les objets ne doivent pas être imprégnés d’une connotation machiste. “L’intelligence moderne est féminine”. Ils doivent être accessibles à tous, grâce à la multiplication de la qualité. Dans un esprit communautaire, Starck croit en la moralisation des entreprises, plus qu’à l’artisanat. Directeur artistique chez Thomson pendant 4 ans, il proposa, au cours des réunions, de remplacer le ... mot “consommateur” par “mon ami”, “ma femme”, “ma fille”, “ma mère” ou “moi-même”. Car, dit-il, il est plus aisé de dire “C’est pas grave, c’est une merde, mais les consommateurs s’en contenteront” que “C’est pas grave, c’est une merde, mais ma fille s’en contentera”. Le consommateur doit être oublié au profit de l’acteur.
Les objets n’oppriment plus la personne mais lui permettent d’exister pour elle-même, à l’inverse, par exemple, des lunettes griffées, qui transforment celui qui les possède en porte-manteau de la marque. L’objet, honnête, s’intègre fidèlement dans la vie de celui qui l’utilise, le tout avec un minimum de matière et de représentations. Avec la gamme Axor Organic, Starck s’est inspiré à la fois des courbes de l’humain et de celles du végétal pour concevoir un robinet aux fonctions intelligentes. Ce robinet prône une utilisation efficace et plus écologique de l’eau. “Une nouvelle intuition est venue à moi, une question même : où est la vie ? où est l’énergie de la vie? J’ai commencé à travailler sous un angle de vue différent avec toujours ce même sujet du minimum”. Dans le même esprit de fusion entre l’utilisateur, ses besoins et l’objet, la lampe net, par exemple, de la gamme Flos est « une lampe de bureau issue de l’élégance du minimum qui intègre naturellement l’Ipad comme clé finale de toutes nos nécessités ».
Ces objets qui ont une âme…
Renouant avec l’essence humaine, aux sources de l’enfance ou des cultures primitives, Philippe Starck restaure l’âme des objets qui peuplent notre quotidien. Tout fait sens, en particulier ce qui s’intègre dans notre vie, ce qui oriente nos gestes et intentions. « Il faut remplacer le beau d’essence culturelle par le bon d’essence humaniste ». Codifiés, définis et porteurs d’une signification qui ne nous appartient pas, issue de règles et symboles sociaux, les objets nous imposent alors de rentrer dans un moule qui n’est pas celui que nous avons façonné. Philippe Starck propose que l’homme se réaproprie son vécu, qu’il le modèle selon ses besoins, aspirations, que les objets deviennent bons. Cette liberté du vécu, favorisée par des objets vrais, oeuvre dans le sens d’un monde où la servitude et la violence sont remplacées par le désir, l’humour et l’amour. L’homme devient un non-consommateur. Les objets sont imaginés selon leur usage et non pour eux-mêmes. Conçu en collaboration avec David Edwards, professeur à l’Université d’Harvard et inventeur de la cuisine aérienne, WA|HH Quantum Sensations, est un spray qui se consomme en pulvérisations directes dans la bouche ou sur les aliments. Cet objet explore le nouveau territoire de l’aérosol alimentaire, du rapport entre les quantités infimes ingérées, le goût et l’effet ressenti. « Nous ne sommes pas des saints. Notre cerveau a besoin d’évasion. Il existe des milliers de façons de s’évader et l’une d’entre elles s’appelle l’ivresse. Or si l’alcool peut faire du bien, il fait aussi beaucoup de mal. La question est donc comment se faire du bien sans se faire de mal ? WA|HH est une alternative qui propose l’idée d’ivresse sans ses effets néfastes ».
La quête du « non-objet »…
Détracteur de la publicité et de la consommation imposée par les médias, Starck refuse de travailler avec des entreprises liées aux alcools durs, au tabac, à la religion ainsi qu’avec toutes celles dont le financement est obscur (les clients de Philippe Starck doivent attester de leurs sources de financement). Les produits qu’il lance doivent apporter quelque chose de nouveau et rendre un service de façon honnête. Quelle sera la réelle utilité de l’objet ? Ce service doit être rendu avec un minimum d’idées préconçues et de matière. Selon lui, les produits d’aujourd’hui rendent 20% de service pour 80 % de matière inutile. Cet excès de matière servant, la plupart du temps, à enrichir le producteur. Dans une perspective écologique et humanisante, Starck prône la dématérialisation “faire disparaître l’inutilité au profit de l’honnêteté”. Le non-objet de demain voit sa quantité de matière décroître au fur et à mesure qu’il devient de plus en plus utile, honnête. Le casque Parrot ZIk est conçu pour être un simple prolongement du corps humain. « Vous avez ici le prototype de ce que seront les objets du futur: beaucoup moins de matière, mais un résultat beaucoup plus puissant et intelligent ».